La « Kadrième » dimension
Son éclosion a surpris plus d’un observateur. Après des débuts pour le moins chaotiques en NHL, Nazem Kadri (22 ans) affole les compteurs depuis le début de la saison de l’autre côté de l’Atlantique. Tout sourit actuellement au centre des Toronto Maple Leafs qui goûte avec un plaisir non dissimulé à cette petite revanche. La question reste désormais de savoir si le Canadien sera à même de maintenir ce niveau de performance dans la durée.
Le scepticisme a perdu son droit de cité aux abords du Air Canada Centre. Depuis son arrivée à Toronto en 2009, Nazem Kadri était pourtant l’objet de railleries quotidiennes de la part des supporters des Leafs comme des médias locaux. En octobre 2010, le Toronto Sun n’hésite pas à faire sa une avec un photomontage du joueur le présentant avec une sucette dans la bouche et affublé de la mention « Baby Leaf ». Difficile à encaisser pour un gamin ne parvenant pas à répondre aux espoirs placés en lui à la suite d’un repêchage en 7ème position à la Draft et qui va passer le plus clair de son temps au purgatoire de la Ligue mineure durant ses trois premières années professionnelles. Seulement, cette saison, la donne a radicalement changé.
Le bisou de Don Cherry
Dans une ville où le hockey occupe une place prépondérante et attise les passions, le temps était peut-être tout ce qui manquait à Nazem Kadri pour s’épanouir. Joueur au caractère bien trempé, ce fils d’immigré libanais (son père, Sam, est venu s’installer avec ses parents en Ontario à l’âge de 4 ans), premier musulman à être drafté en NHL, s’est accroché et a fini par gagner les faveurs de son entraîneur, Randy Carlyle. « Cela démontre la flamme qui l’anime et son esprit de compétiteur. Vous pouvez douter de lui, il va tout faire pour prouver que vous avez tort. C’est une qualité spéciale et Nazzy la possède, a déclaré l’ancien défenseur de Pittsburgh dans les colonnes du National Post. Il va montrer qu’il peut le faire. A sa manière. Il faut donner du crédit à ce garçon. »
Propulsé au coeur du deuxième trio offensif, épaulé par Joffrey Lupul et Nikolai Kulemin, le numéro 43 a fait mieux que répondre aux attentes. Centre au gabarit modeste (1,83 m, 83 kgs), Kadri est revanche un joueur affichant une facilité déconcertante crosse en mains, disposant d’une vision aiguisée et proposant un jeu à risques capable de créer des différences à tout moment. Ses qualités naturelles ont fait exploser plus d’une défense cette saison et le virtuose gaucher affiche une fiche épatante de 41 points (17 buts et 24 assistances) en autant de rencontres et un ratio plus/minus de + 17 avec seulement 16 minutes de temps de glace en moyenne (soit le 14ème total de son équipe).
Le 30 mars, il inscrit son deuxième hat-trick de l’exercice en cours lors d’un succès décroché aux dépens d’Ottawa. A l’issue de la partie, sur le plateau de l’émission Hockey Night in Canada, Don Cherry appose une bise sur la joue du héros du soir. Une marque d’affection qui a suscité nombre de commentaires au pays de la feuille d’érable puisque, quelques années plus tôt, l’emblématique journaliste avait réservé pareil traitement à un certain Doug Gilmour. Gilmour, ancien centre mythique des Maples Leafs, au même titre que Mats Sundin, et dont les fans voient aujourd’hui en Nazem Kadri un potentiel héritier.
Un surrégime à envisager
Emmené par Phil Kessel et son nouveau joyau, Toronto, solide 5ème à l’Est, se dirige tout droit vers une première participation aux play-offs depuis neuf ans. A 22 ans, « Nazem The Dream », qui sera agent libre restrictif à l’issue de la saison, doit être amené à devenir l’une des pierres angulaires du nouveau projet des Leafs. Pour autant, si son talent trouve aujourd’hui une concrétisation sur la glace et dans les colonnes statistiques, il convient de noter que ses prestations sont entourées d’un faisceau de réussite absolue. Le joueur ayant fait ses classes dans les rangs des London Knights affiche un pourcentage de 18,5% devant les cages alors que les gardiens adverses ne stoppent que 84,7% des tentatives de Toronto dès lors qu’il est sur la glace (la moyenne de la Ligue étant de 92,9%, celle de Sidney Crosby en carrière de 87,5%).
A l’instar d’un Jordan Eberle qui avait connu un exercice stellaire l’an passé (76 points en 78 matches lui ayant valu un juteux contrat de 36 millions de dollars sur six ans) et est aujourd’hui rentré dans le rang, la révélation canadienne doit ainsi s’attendre à voir sa production décliner dans le futur. Cette perspective ne l’inquiète toutefois pas outre-mesure, lui qui savoure à sa juste mesure une période faste l’ayant fait passer du statut d’éternel espoir à celui de valeur sûre de la NHL. « C’est appréciable, surtout après avoir passé des moments difficiles, d’être parvenu à gagner un peu de reconnaissance de la part de mes coéquipiers mais aussi des joueurs de la Ligue. Il y aura des hauts et des bas et j’ai encore beaucoup de travail à fournir. Mais je suis définitivement dans la bonne direction », confesse-t-il avec lucidité. Nazem Kadri, actuellement sur un nuage, a enfin trouvé la formule. Et est plus que jamais déterminé à poursuivre son inattendu voyage dans la quatrième dimension.
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